C’est une histoire entrepreneuriale peut-être sans équivalent qui débute dans les années 70 dans les bureaux d’étude de Dassault Aviation. Il s’agit de trouver des solutions pour réduire les puissances de calcul nécessaires à la mise au point des nouveaux avions. Les ingénieurs repèrent chez Lockheed Martin un logiciel de dessin interactif en 2D, ils vont ajouter une troisième dimension, sans réaliser qu’ils vont tout simplement dessiner l’avenir de l’industrie. L’affaire est éminemment complexe à l’époque, et Dassault va se contenter de simuler la rentrée de trains d’atterrissage, puis petit à petit passer à des pièces de plus en plus sophistiquées, donnant naissance à un logiciel totalement révolutionnaire baptisé CATIA, pour Computer Aided Three Dimensional Interactive Application.
La première « start up »
C’est en 1977 que le logiciel commence à tourner de manière efficace, et c’est là que Marcel Dassault, le patron emblématique encore aux commandes, et Charles Edelstenne son directeur général, celui qui construit toute l’ambition du groupe Dassault, c’est là qu’ils vont avoir une idée de génie : faire de cette aventure technologique une aventure entrepreneuriale. CATIA va sortir du groupe, dans ce qu’on n’appelait pas encore une start up, avec un capital de 10 millions de francs de l’époque, capital qui est devenu 33 milliards d’euros aujourd’hui. La société est créée en 1981 autour d’une vingtaine d’ingénieurs, qui avouent eux-mêmes qu’ils n’ont aucune expérience de vente ou de marketing. Mais IBM repère le logiciel et décide de le mettre à son catalogue. A l’époque IBM fait la loi dans le monde de l’informatique, le décollage est immédiat.
« Tout est virtuel »
1995, autre année charnière, Bernard Charlès prend les commandes et va porter sur tous les terrains la virtualisation industrielle que permet CATIA. Tous les secteurs d’activité sont concernés : automobile, énergie, chimie, cosmétique, même les rayons des supermarchés. On peut tout modéliser, tout virtualiser. Personne encore ne parle d’industrie 4.0 (devenu le standard industriel 2018) mais Dassault Systèmes le fait. Publicis lui donnera d’ailleurs un slogan : See what you mean, tous les objets industriels sont virtualisables, l’émergence des imprimantes 3D devenant la dernière brique permettant de les réaliser à distance.
Aujourd’hui, Dassault Systèmes se rêve en industriel virtuel global, sorte de plate-forme dématérialisée sur laquelle vous pouvez réaliser les plans dont vous rêvez et réserver une chaîne industrielle n’importe où dans le monde pour les rendre réels. 3D et « Fab Labs » dessinent un monde où chacun peut aller au bout de ses envies, tester les inventions les plus folles, mais aussi améliorer les produits les plus éprouvés, Dassault Systèmes assurant la sécurité et le lien entre l’ensemble des parties prenantes. Le marché semble infini, et l’avance de Dassault Systèmes peut-être comparable à celle de Microsoft dans les années 80.
Une mine d’or bel et bien réelle
Aujourd’hui 230 000 entreprises sont abonnées aux suites logicielles de Dassault Systèmes. 100% des automobiles produites dans le monde et 60% des avions ont été à un moment modélisés par ses algorithmes, l’objet lui-même, mais aussi son cycle de production, y compris la position exacte des ouvriers sur les chaînes et le rythme d’arrivée des pièces.
Le dernier terrain de jeu, c’est maintenant le corps humain. Dassault Systèmes s’est attaqué à la modélisation des organes et pourra préparer les opérations chirurgicales comme sont programmées aujourd’hui les productions industrielles. Durant toute cette aventure, jamais Dassault n’a fait l’erreur de reprendre le contrôle, et a largement récompensé ceux qui en étaient les auteurs. Participation, intéressement, et association au capital, « nous sommes des explorateurs » dit Bernard Charlès, « je dois donner des bouts de terre à ceux qui défrichent avec moi ». Des bouts de terre qui sont aujourd’hui des mines d’or. Dassault Systèmes est une des plus puissantes capitalisations boursières de la tech française, et va dynamiser un CAC 40 qui avait besoin de sa croissance bel et bien réelle.